À la mémoire de mes ancêtres

De 2019 à 2023, j’ai travaillé en Ariège sur le projet baptisé “Vallées ingénieuses”, dont l’objectif était de créer 2 sites racontant la montagne, la production hydroélectrique, la biodiversité, l’histoire de l’utilisation des ressources naturelles et les innovations industrielles d’un territoire, en particulier dans le domaine de l’eau et du talc.

C’était revenir sur plus de 100 années d’innovation et d’ingéniosité, la réalisation d’ouvrages colossaux pour produire de l’énergie (barrages, centrales, conduites forcées…), mais c’était aussi raconter des vies d’hommes et de femmes rudes et solides comme les montagnes. C’était enfin, à la lumière de ce passé, raconter l’Ariège et ses enjeux d’aujourd’hui, de la gestion des ressources à la préservation de l’environnement et de la biodiversité, avec la Réserve Nationale d’Orlu.

Deux sites sont nés
Quatre ans après le début de notre mission, à l’été 2023, les 2 sites ont ouvert leurs portes au public : Talcaneô à Luzenac, raconte l’aventure de l’exploitation du talc sur la carrière de Trimouns, et Mountaneô, à Orlu, raconte la biodiversité et la protection d’un espace naturel de montagne (la Réserve Nationale d’Orlu) et l’histoire de la production hydroélectrique en vallée d’Orlu.

Une autre histoire…
De mon côté une autre histoire très personnelle s’est jouée avec ce projet. Originaire d’Ariège sur toute ma branche maternelle, avec ce projet il était question aussi de l’histoire de ma famille..

La lignée de ma grand-mère se perd dans des villages aujourd’hui disparus ancrés à l’ubac de la vallée de l’Ariège, face au Quié. Les conditions de vie de mes ancêtres étaient celles de beaucoup de pauvres paysans des hautes vallées de l’Ariège au siècle dernier. Tous ont vécu sur plusieurs générations des maigres récoltes de la terre et travaillé des ressources de la montagne (eau, fer, aluminium…). Leurs vies, l’histoire qu’ils m’ont transmise était celle que nous allions raconter à Mountaneô et Talcaneô.

Alors j’ai interrogé la source familiale, en même temps que je travaillais sur ce projet.. Tout le contenu historique était dans les archives familiales et les mots de ma grand-mère. J’ai découvert que parmi les hommes de ma famille il y avait un chaudronnier dans la petite usine métallurgique de Château-Verdun, des forgerons, un ouvrier à l’usine de production d’aluminium et de traitement de la bauxite de Sabart, un chef de production à l’usine hydroélectrique d’Aston. Et des femmes : lingère, brodeuse, femme de chambre, institutrice, religieuse ou accompagnant leur mari et s’occupant du foyer, des enfants, des travaux agricoles et de tout le reste, car ces familles paysannes vivaient d’abord essentiellement du travail de la terre et des récoltes de leurs petites parcelles pentues. J’ai découvert leurs vies et marché sur leurs pas en même temps que j’écrivais le programme muséographique et suivait la production.

Dur passé, dur présent
Mais tout comme les morceaux de vies que je découvrais, je vivais une aventure professionnelle éprouvante et musclée. Le projet s’est fait en force et sans douceur aucune, je n’en sors pas indemne. Dure leçon…

Encore et toujours, la force d’un collectif
Heureusement la force d’un collectif permet de soulever des montagnes. J’ai eu la chance de faire partie d’une équipe soudée, généreuse et courageuse, c’est grâce à elle que j’ai pu tenir. Et le projet a pu voir le jour grâce au dévouement de l’architecte en tout premier lieu, et des entreprises.

👏 Je voudrais dire un grand bravo et merci à l’équipe de conception et maîtrise d’oeuvre : l’architecte courage Patricia Benazet ; Claire Simonet, pour la scénographie ; Magalie Fargeas pour le multimédia ; Jean-Michel Sagols pour le paysagisme, Vincent Bardou CBIT pour l’OPC (et moi pour la muséographie donc).

👏👏 Un grand bravo et merci aux entreprises, qui ont donné plus que de raison dans cette aventure ariégeoise : Créations et Fraise des bois pour le mobilier ; PICTO et Studio Vost pour le graphisme ; Noémie Mangin pour les illustrations ; Jonathan Macintosh et Mitia Notaras pour les manipes ; ANAGRAM pour les audiovisuels ; Bixie pour le jeu interactif ; Super job de la part des entreprises des lots bâtiment aussi.

👏👏👏 Un immense merci aussi aux partenaires locaux, le projet n’aurait pas pu naître sans leur engagement : les équipes de la vallée d’Orlu et de l’OFB (Jérôme Aspirot, Christophe Lhez, Julia Gladine Martin), Isabelle Corbières, les équipes d’EDF (Marie-Charlotte Bousquet, Marine Leroy), les équipes de la carrière et usine de talc de Luzenac, l’AMO Marc Espitalié. Merci à vous toutes et tous pour votre aide et pour ces passionnantes réunions de travail dont je garderais un beau souvenir 🙂

La dernière ariégeoise
Fin 2023, peu après l’ouverture des 2 sites, ma grand-mère s’en est allée. La dernière ariégeoise de la famille repose maintenant au cimetière des Cabannes, avec mon grand-père et tous les autres. La source de la mémoire familiale est désormais tarie.

Aujourd’hui, avant que s’efface de ma tête ce qu’elle m’a transmis, je voudrais lui dédier ce projet. Pour elle, et pour la mémoire de sa vie et de ses efforts, je rêve que les sites et musées ariégeois remplissent leurs missions. Je rêve que ces musées contribuent à transmettre et éduquer les jeunes générations sur les formidables ressources de notre belle montagne, je rêve qu’ils éduquent dans le respect de l’héritage de nos anciens et conscients des enjeux actuels. Et je rêve qu’ils respectent aussi ceux qui font les musées… 🖤

(Si vous souhaitez visiter Talcaneô et Moutaneô, réouverture en avril)